Voyage au paradis
       
Un jour je voyagerai. Je verrai le monde. Pour le moment, je ne peux voyager
qu’en rêve. Et encore… c’est un grand mot, le rêve. En tout cas, je peux
vous dire que pour moi, un rêve c’est très important. C’est là que je me
libérer, ne plus penser. Je fais ce que je veux, où je veux, quand je le
veux. J’appelle cela le paradis !
Voilà où j’en suis : une plaine à perte de vue. De la verdure
d’une immense beauté. Herbes et buissons se bousculent dans cet espace
interminable. Quelques fleurs apportent des touches colorées au paysage.
Jonquilles, roses, tulipes, absinthes, glaïeuls, magnolias, narcisses… un
amoncellement de pétales aux couleurs chatoyantes. J’aperçois un troupeau de
chevaux broutant au loin, des lapins blancs, bruns et noirs, des papillons
rouges et verts... un déploiement de teintes et de sensations fortes tout
autour de moi ! Que de beauté devant mes yeux ébahis ! Mais où ai-je donc
atterri ?
Soudain, parmi toute ces merveilles, je remarque un petit être
assez étrange voltant non loin de là. Je dirais qu’il s’agit d’un elfe ou
peut-être bien d’une petite fée. A première vue, rien de bien inquiétant au
milieu de ce décor surréaliste, mais en regardant d’un peu plus près, je
m’aperçois que ses yeux sont assez étranges : ils sont anormalement rouges.
Un rouge étincelant. Un rouge presque effrayant. Je m’avance légèrement pour
mieux voir cette créature et la curiosité fait que je décide de la
suivre.
Après quelques minutes de marche, la créature et moi ne sommes
plus séparées que de quelques mètres, en contrebas d’une colline. A cet
instant précis je suis sûre qu’il s’agit d’une fée : des ailes pailletées et
une robe rose et bleue. Sa beauté n’a pas d’égale, ses cheveux sont dorés et
soyeux. Elle ne doit pas mesurer plus de trente centimètres.
Enfin, nous nous arrêtons. Je crois qu’elle a remarqué ma
présence. Je prends donc l’initiative de me présenter à elle pour ne pas
paraître impolie. Je m’approche avec précaution de peur de la faire fuir.
Elle ne bougea pas un cil. Une discussion s’engagea où j’appris, entre
autres, que son nom est Mélody et qu’il ne s’agit que d’une toute jeune fée.
Durant tout le temps de notre conversation, ma nouvelle amie ne cligna pas
des yeux, elle les garda fixés, comme absorbée par ce qu’elle voyait.
Pourtant, je ne remarque rien de particulier. Elle me demande de bien
vouloir l’accompagner. J’hésite un court instant puis accepte finalement.
Après tout, quels dangers pourrais-je rencontrer en suivant une si petite
créature ? Me voilà donc partie en compagnie de cette petite fée
intrigante.
Que le voyage est long ! Mes jambes deviennent lourdes à force
de me porter. Il me semble que des heures se sont écoulées depuis notre
départ de la prairie. Contrairement à moi, Mélody ne semble pas le moins de
monde épuisée par cette marche, du moins ce vol, puisqu’elle utilise ses
petites ailes pour se déplacer. Le crépitement lointain d’une cascade
parvient à mes oreilles. Je demande à ma camarade de voyage si nous ne
pouvons pas nous arrêter un instant au plan d’eau pour que je puisse me
rafraîchir. Aucune réponse. Néanmoins, elle me conduit à la cascade.
La pause fut de courte durée.
Mélody n’avait rien bu. La fée n’avait pas encore ouvert une seule fois la
bouche depuis le début de notre voyage et ses yeux… ses yeux restent
obstinément fixés droit devant elle, regardant l’infini.
Un vent de tempête sorti de nul part s’abattit brutalement sur
nous. Toujours imperturbable, Mélody ne dit rien. Pour ma part, je prends
conscience du danger de la situation. Je veux crier, mais aucun son ne
daigne sortir de ma bouche. Je perds l’équilibre. Une force invisible
m’élève dans les cieux. Que se passe-t-il ? Un son strident, presque
insupportable, me transperce les tympans. Je m’affole puis tout redevient
calme, aussi rapidement que précédemment.Je me relève péniblement et regarde
ce qui m’entoure : j’en reste pétrifiée de stupeur. Des nuages… c’est tout
ce qui se trouve devant mes yeux, des nuages. Quelle chose étrange ! Je me
sens aussi légère qu’une plume. Je flotte dans les airs, parmi les boules de
coton, je zigzague, je me faufile. C’est assez amusant !
Malheureusement, les bonnes choses ont toujours une fin. Une
main puissante et invisible me tire vers les profondeurs de la terre. Ma
chute n’en finit plus. Je tombe lourdement sur un sol escarpé. Devant mes
yeux ébahis, ce n’est que désolation : finis les beaux paysages de
printemps, les animaux, et les jolies fleurs. Le paradis s’en est allé. Qui
sait ce qui m’attend dans ces profondeurs effrayantes ?
La petite fée : je l’avais presque oubliée avec toutes ces
péripéties ! Pour la première fois depuis notre conversation, elle m’adressa
la parole de sa petite voix aiguë. Pourtant, impossible de comprendre un
traître mot. Je me sens un peu ridicule tout à coup : elle semble attendre
une réponse de ma part… Mais que puis-je répondre à cela ? Mélody est
décidément de plus en plus étrange.
Un tremblement se fit ressentir. Une sorte de spectre venait de
surgir des entrailles de la terre. C’est la première fois de ma vie que je
vois une chose pareille : on dirait un fantôme, mais ce n’en est pas un.
Est-ce peut-être de la fumée ? Non plus. De quoi s’agit-il ? Je n’en ai pas
la moindre idée. Tout ce que je sais, c’est que cette chose n’a pas
l’intention d’être amicale avec moi ! Elle semble vouloir m’attraper, je
prends mes jambes à mon cou et cours le plus vite possible vers une
éventuelle sortie. Je fais le tour de la grotte, mais ne trouve ni sortie,
ni quoi que ce soit qui puisse m’aider à échapper à ce monstre.
Je sens ma fin qui se rapproche. Je vois déjà la grande
faucheuse venir me capturer… Non, je ne vais pas ma laisser faire ! Il faut
que je résiste ! Avec un élan de courage, je m’élance vers la créature et…
la traverse. Une sensation de picotement me transperce tout le corps. Il me
fallut quelques instants pour me rendre compte d’une chose épouvantable : je
ne suis plus en face de la créature, mais à l’intérieur ! Je m’agite, je
prends peur ! Comment ai-je fait cela ? Je ressens un dégoût profond. Une
odeur fétide me prend le nez. Je ne peux plus respirer !
Réfléchis ! Réfléchis ! Que faire pour me sortir de là ? Je ne
pourrai pas retenir ma respiration très longtemps. Une lumière bleue
apparaît au loin. Elle se rapproche peu à peu. Je sens sa chaleur m’envahir.
L’espoir revit en moi. Une flèche atteint le monstre. Je tombe. Un bras
puissant me rattrape au vol. De l’air. Enfin. Je prends une grande bouffée
d’air. J’aime sentir la douce caresse de l’air dans mes poumons. Je vois une
flaque noire : il semblerait que le monstre ait été anéanti par mon
mystérieux sauveur. Mais qui est-il ? Où est-il ? Est-il parti en me
laissant là, toute seule ? Mais non ! Il est là ! Oh, mais non ! Quelle
horreur ! La petite fée ! Elle est sur le sol… inanimée. Non ! Je cours vers
elle.
Mon sauveur, il est là, devant moi. Il est penché au dessus de
Mélody. Un jet de lumière bleue sort de sa main droite et inonde Mélody
d’une douce couleur bleutée. Lui fait-il du bien ou du mal ? Je crois, et
j’espère, qu’il la soigne. Oui. Elle se relève péniblement. Ses yeux… ils
ont une couleur vert feuille. C’est merveilleux !
Bip Bip Bip !! Je sursaute de peur. Mon réveil ? Mais alors, ce
n’était qu’un rêve ?! Ouf. Je me lève, enfile mes pantoufles et sors de ma
chambre en souriant. Vous voyez, dans un rêve, tout est possible !

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