Inspiration

Il est huit heures et quart. Je suis entourée de mes camarades de classe en cours de français. J’entends les crayons frotter les feuilles blanches. Pourtant, le mien reste immobile. Je le fais tourner entre mes doigts. Je cherche l’Inspiration. Cette inspiration qui ne va pas tarder à arriver, j’espère... Cela ne devrait pas être si difficile, enfin, j’ai 14 ans quoi ! Je devrais avoir de l’inspiration à revendre !! Je ne comprends pas pourquoi mon stylo ne gambade pas sur la feuille quadrillée de traits bleus et violets. Allez ! Du nerf mon gars ! Il faut que tu imprimes ta marque noirâtre sur cette feuille qui n’attend que ça !

Huit heures vingt-deux, un fourmillement dans ma main droite. Elle tremble légèrement. Puis, enfin (!!), l’Inspiration est au rendez-vous. Je n’entends plus les autres écrire et chuchoter ; je ne les vois plus s’animer autour de moi. L’Inspiration est là et je ne compte pas la laisser s’échapper. J’écris, j’écris. Plus rien ne peut m’arrêter. Mon stylo file à la vitesse de la lumière (du moins, à une vitesse jamais atteinte jusqu’alors par ma petite main droite qui, je le sens, va attraper un claquage à force de gigoter ainsi !)

Huit heures trente. Ma main commence à faiblir petitement. Mais je l’oblige à continuer. Il le faut ! Ma bouche devient pâteuse. Je me dessèche peu à peu. Je ne veux et ne peux m’arrêter. Malheureusement, le physique domine le mental et je m’endors là, sur mon classeur, dans la salle 12 du collège La Source d’Amnéville.

Huit heures je ne sais pas combien... Je dors... je n’arrive pas à y croire, pourtant je me suis belle et bien endormie sur ma table. Je sens ma montre bleue s’écraser contre ma joue ; je ne peux me réveiller. J’espère que personne n’a remarqué mon roupillon. Je rêve éveillée si je puis dire. Je suis consciente de dormir mais je ne me réveille pas. Dans mon « rêve », c’est un amoncellement de feuilles de papier qui fusent en tous sens au dessus de ma tête. Elles sont toutes d’un blanc nacré. Puis, elles se plient en origami pour finir avions. Ils fondent sur moi, me piquent. Bizarrement, je ne ressens aucune douleur. Rien. Dans un rêve, ressent-on la douleur ? Je n’en ai pas la moindre idée. Ça doit être ça, le néant des sensations.

Il doit bientôt être neuf heures. Du moins, je n’en sais pas grand chose en fait... Je sais juste que la sonnerie annonçant la fin du cours n’a pas encore retenti : cela m’aurait réveillée, je pense... Soudain, j’entends un bruit étrange ou plutôt, familier. Au milieu du sifflement des avions en papier, j’entends une voix masculine. Elle est lointaine, très lointaine... Peut-être le prof... Zut, il m’a remarquée pendant que je dormais ! Par contre, même le son de sa voix ne me permet pas de me réveiller. Je crois que je suis réveillée, mais je ne peux ni bouger ni sortir de cette torpeur qui me plonge dans un état second. Ma gorge se noue. Je sens mon corps tomber... Driiiiiiing !!!!!!!!! Ah tiens, la sonnerie. Je suis lasse d’entendre ce bruit strident et qui semble éloigné de mon esprit. Allongée sur le sol froid et dur, j’ai un sentiment de désespérante apesanteur. On me ballotte. Je sens que l’on soulève ma tête. Mon esprit est avec mes camarades, mais mon corps refuse de se relever par lui-même.

Dix heures cinq. Je regarde la petite horloge sur le mur d’en face. Mon réveil est douloureux. Je me trouve dans une chambre toute blanche ; encore du blanc où ne s’est pas inscrite la marque noire du stylo. Encore une minute de passée dans le silence le plus complet. Un tube est accroché à mon nez et je remarque mes parents qui discutent avec un médecin dans le couloir de l’hôpital. Ouf : je suis sortie de mon état second pour revenir à la réalité. Je me sens revivre, prends une grande bouffée d’air tandis que mes parents entrent dans la chambre un sourire aux lèvres.

Il est à présent dix heures vingt-six et je me sens de mieux en mieux. Une infirmière est venue me voir, suivie d’un médecin. Il m’a prescrit les meilleurs médicaments au monde : le sommeil et la « no stress attitude ».